CR-conférence-Mardi 30 janvier 2018 par par M. Jean-Marie BOUISSOU

C’est dans une salle comble que ce 30 Janvier, Monsieur Jean-Marie BOUISSOU, japonologue bien connu, directeur de recherche et représentant de Sciences Po au Japon, a ouvert la série des conférences de l’UFE JAPON 2018.
Le thème était : Les Japonais sont-ils heureux ?
C’est une question que les non-japonais peuvent souvent se poser, tant la conception du bonheur semble différente en Occident et au Japon, et parfois au sein d’un couple mixte.
Les dictionnaires français définissent le bonheur comme « un état durable de complète satisfaction ». Mais le mot japonais shiawase signifie « un moment où les circonstances font qu’il se passe quelque chose qui apporte du bonheur ».
M. BOUISSOU commence en analysant diverses mesures comparatives du bonheur entre les pays du monde… Sur environ 180 pays, le Japon est classé 10% supérieurs – un peu devant la France – dans celles qui ne prennent en compte que les éléments matériels de base nécessaires au bonheur (niveau de vie, santé, sécurité…). Mais dès qu’on ajoute des critères subjectifs (attentes envers les autres, sentiment que la vie est heureuse dans son pays) le Japon recule fortement. Quand on ajoute « Votre vie est-elle heureuse ? », il s’effondre à la 90ème place.
Les Japonais ont tout ce qu’il faut pour être heureux, mais disent qu’ils ne le sont pas. Ne seraient-ils pas « doués pour le bonheur » ?
On constate la même chose pour les Coréens, les Chinois et les Vietnamiens. Certains chercheurs l’expliquent par le faible taux de sérotonine (« l’hormone du bonheur ») commun aux Japonais et à ces trois populations. Mais M. BOUISSOU suggère d’étudier aussi leur culture commune: le confucianisme et le bouddhisme, auquel s’ajoute le shintoïsme pour les Japonais.
Pour le Shintoïsme, la seule chose qui compte est la vie, et le bonheur est dans tout ce qui la perpétue. On doit travailler dur, mais aussi boire et manger pour se récompenser et reprendre des forces, et se reproduire. Ces plaisirs fugaces ne sont pas seulement « plaisants » ; ils rendent heureux parce qu’ils contribuent à l’oeuvre de vie.
Pour le Bouddhisme il existe un état de bonheur stable (le nirvana), mais pour le connaître, il faut éteindre tous ses désirs et renoncer à tous les plaisirs. Toutefois, le plaisir peut rapprocher du nirvana si, en le prenant, on n’oublie jamais que qu’il ne durera pas – et qu’il faut donc chercher autre chose pour être vraiment heureux.
Shintoïsme et Bouddhisme se rejoignent dans le hanami. C’est un moment de bonheur shintoïste parce que la vie repart, et pour le Bouddhisme il rapproche du nirvana en rappelant que, comme les fleurs de cerisier, tout a une fin.
Pour Confucius, seule compte la vie sociale, où chacun a une place, doit l’accepter et se conduire comme il convient à sa condition. Le riche doit savoir être « heureux comme un riche » et le pauvre comme un pauvre. Sinon, le désordre règne et personne ne peut être heureux, faute de sécurité.
Le bonheur à la japonaise est donc un moment fugace par nature, et soumis à des contraintes sociales fortes. Il attache aussi une importance exceptionnelle à la nourriture (shintoïsme) et à la sécurité (confucianisme).
M. BOUISSOU offre des exemples de ce qu’il appelle « le bonheur de rien » dans les toutes petites fêtes de quartier en été (ennichi), « le bonheur bulle » d’une seule nuit dans un ryôkan coupé du monde, et le « bonheur de masse » sur le Mont Takao, un dimanche à la saison des érables…
Il donne pour exemple parfait de vie heureuse à la japonaise celle du très célèbre joueur de baseball
Ichirô Suzuki : respect des valeurs traditionnelle, vie privée sans le moindre éclat carrière
exceptionnellement longue, et aussi heureux de gagner deux millions de dollars aujourd’hui que 19
au sommet de sa carrière.
M. BOUISSOU finit en analysant le « bonheur de temps de crise » que se sont inventé les jeunes
Japonais, souvent présentés comme les moins heureux du monde. L’important pour eux est de ne
pas connaître de déception, en réduisant leurs attentes matérielles et sexuelles. Ce bonheur de faible
intensité est celui de « l’homme herbivore » (sôshoku danshi), que les jeunes femmes définissent
aussi comme « bonheur à taille humaine » (toshindai no shiawase).
Le public remercie chaleureusement M. BOUISSOU pour son intervention, qui a été très appréciée.
Il nous donne rendez-vous en octobre pour une autre conférence ; en espérant que l’ouvrage qu’il
vient de terminer (Les Leçons japonaises, chez Fayard) sera publié d’ici-là.
Nul doute que la salle sera à nouveau pleine.